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Guérir de la fibromyalgie : analyse d'expériences.

Dernière mise à jour : 20 nov. 2022

Ce blog est une synthèse de l'article de Mengshoel et Heggen intitulé "Recovery from fibromyalgia - previous patients' own experiences" (Disabil Rehabil. 2004 Jan 7;26(1):46-53. doi: 10.1080/09638280410001645085. PMID: 14660198)


Introduction


Entre 1990 et 1992, 51 patients avec un diagnostic de Fibromyalgie ont participé à une série d’études cherchant à évaluer les effets de l’exercice et des programmes d’éducation de patient. Aucun patient n’a complètement récupéré en participant à ces programmes. En 1998, les patients ont été réévalués dans le cadre de leur suivi, et 5 d’entre eux n’avaient plus de douleurs chroniques diffuses ni de fatigue.


Lors de l’inclusion dans l’étude initiale, ces femmes remplissaient toutes les critères de l’époque pour le diagnostic de Fibromyalgie (ACR 1990) avec des douleurs diffuses, 11 points de compression sur 18, d’une durée de 1 à 15 ans. Elles avaient entre 37 et 49 ans : 2 avaient un travail à temps plein, 1 avait un travail à temps partiel et 2 étudiaient à temps plein.


Leur rétablissement signifiait qu’elles n’avaient plus cet état d’épuisement et de douleurs chroniques diffuses. Si elles avaient parfois des douleurs intermittentes localisées, toutes signifiaient qu’elles n’avaient rien à voir avec les douleurs qu’elles expérimentaient lorsqu’elles avaient la fibromyalgie.


Suite à ce constat, des chercheurs ont voulu faire la lumière sur leur processus de récupération. Leur objectif a été de décrire et de discuter de la façon dont ces femmes ont vécu et interprété leur processus de récupération du syndrome fibromyalgique.

Matériel & méthode

Pour ce faire, les enquêteurs ont réalisé des entretiens semi-directifs au domicile de ces 5 femmes. Ils leur ont demandé de décrire en détail leur processus de rétablissement, y compris les obstacles au rétablissement et les facteurs qui l’ont facilité. Les enquêteurs ont souhaité également se faire une idée générale de leur vie quotidienne et leurs relations sociales avant et après le diagnostic de FM, et après leur guérison. Les enregistrements audio ont été retranscrits en verbatim, puis analysés par thématique.




Résultats


Diagnostic et traitement


Les femmes interviewées ont toutes décrit l’annonce du diagnostic comme désagréable car elles ont rapporté que les gens (médecins, amis, collègues, famille) avaient tendance à douter de la réalité de leur expérience. Cette suspicion a été vécue comme un fardeau supplémentaire, notamment car elles avaient besoin de confiance et de soutien pour faire face à leurs symptômes et favoriser leur rétablissement.


“J’avais 20 ans, j’avais l’impression d’en avoir 70. Et le médecin a dit que c’était normal. Mais je savais que ça ne pouvait pas être normal. Si seulement le test sanguin avait montré quelque chose, ça aurait été OK. Mais personne ne voit ce que je ressens – que je suis toujours fatiguée et que je ne dors pas assez, c’est quelque chose contre quoi ils ne peuvent rien faire.”


Ces femmes se disaient désespérées du manque de soins médicaux et de l'incompréhension qu’elles rencontraient. Toutes ont déclaré avoir essayé plusieurs modalités de traitement (kiné, tcc, régime alimentaire, etc.). Elles ont dit espérer qu’un jour un remède contre la Fibromyalgie serait trouvé.


Trois d’entre elles expliquaient leur récupération par une hypothèse biologique, bien qu’une des interviewées était plutôt incertaine : deux envisageait les changements hormonaux durant la grossesse, tandis qu’une pensait à la prise de pénicilline car elle était certaine que sa FM avait été déclenchée suite à une piqûre d’un insecte. Deux autres femmes étaient pleinement convaincues que leur rétablissement était lié à la résolution de problèmes dans leur vie.



Nouvelles interprétations et stratégies efficientes


Les femmes interviewées ont vite compris que le diagnostic de FM avait ses limites dans le sens où il indiquait seulement que la douleur se ressentait dans les muscles. Aucune des patientes ne se préoccupait de ce qui se passait dans leurs muscles. Elles ont compris que la douleur musculaire était en relation avec des événements extérieurs à leur corps, des événements de leur vie. Leur corps leur signifiait soit la présence de problèmes insurmontables, soit l’accumulation de trop de stress.


“J’ai progressivement commencé à comprendre que j’avais trop à supporter depuis bien trop longtemps… Des choses douloureuses… Trop à supporter… Juste une petite chose et c’était trop pour moi… Quand mon mari a eu de sérieux ennuis, ma douleur est devenue très intense”


Ces femmes interprétaient ces douleurs diffuses comme un signal les amenant à s’arrêter, à évaluer la situation, “se calmer” un certain temps et réorganiser leur vie. Elles avaient appris à prendre en compte les contraintes accumulées de la vie quotidienne, et pas seulement la contrainte liée à une activité. Lorsqu’elles suivaient cette stratégie, elles savaient que les symptômes s’estomperaient en quelques jours.


“Au bout d’un moment, j’ai appris à prendre les choses plus facilement. Réfléchir avant de dire oui, savoir si j’avais le temps et l’énergie… Si on ne prend pas le temps de gérer les choses au fur et à mesure qu’elles se présentent, tous les sentiments – ils vous remplissent”



Leur nouvelle façon de comprendre la douleur les avaient amené à développer de nouvelles stratégies : 1) identifier les déclencheurs de la douleur et définir des priorités ; 2) évaluer leur capacité par rapport aux exigences imposées par les autres, les situations ou par elles mêmes ; 3) distinguer ce qui était bon de ce qui était mauvais pour elles et ce qu'il fallait faire pour éviter de développer à nouveau des symptômes chroniques.



Rôles sociaux


Comme à l’époque il n’existait pas de traitement connu pour la fibromyalgie, ces personnes disaient devoir “apprendre à vivre avec la fibromyalgie” et “adapter leur vie aux symptômes”. Cette adaptation les enfermait dans un rôle de malade passif qui entrait en conflit avec la vision qu’elles avaient d’elles même : des personnes actives avec des rôles exigeants et des responsabilités.

Toutes avaient connu un écart entre la façon dont elles se percevaient elles même, et comment elles étaient perçues par les autres. Elles disaient avoir été élevées pour être fiables et consciencieuses par rapport à leurs devoirs en général. Elles ont toutes souligné à quel point elles étaient fières de ces qualités, et leur volonté de lutter contre l’interprétation que les autres pouvaient avoir vis-à-vis d’elles.


Elles ont décrit une lutte interne pour maintenir des rôles sociaux “normaux”. Elles ont fini par cacher le diagnostic à leurs employeurs et à leurs amis, et ont découvert des moyens pour échapper à la pression du rôle de malade.


Toutes ces femmes avaient en commun d’avoir redéfini leurs rôles sociaux qui avaient de l’importance pour elles. Elles s’étaient donné plus de temps pour faire les choses et avaient donné plus de priorité à leurs besoins. Dans l’ensemble, cette redéfinition des rôles, des obligations et des buts, semblaient avoir développé leur estime de soi à un point qui avait même été remarqué par les autres.


“Mon mari pense que c’est merveilleux que je sois plus conscient de moi-même. Je pense que c’est ainsi que les choses devraient être. Avant cela, j’étais très facilement influençable.”




Discussion


Les auteurs constatent que ces personnes semblent avoir récupéré indépendamment d’un traitement spécifique. Ils font l’hypothèse que la résistance de ces femmes à être stigmatisée, à jouer le rôle de malade et à reprendre la main sur leur propre vie, avait été le facteur clé qui a favorisé leur rétablissement. Selon les auteurs, cela a pu être fait en réduisant l’inadéquation entre leurs capacités et les obligations sociales qu’elles estimaient importantes à remplir. Ces femmes ont toutes partagé une intervention : redéfinir leurs obligations sociales, leurs objectifs de vie et le sens de leur douleur.


Les auteurs tentent d’expliquer ces résultats à l’aide de la littérature. Selon Beaton et al, le rétablissement peut être classé de 3 façons : 1) une douleur moins intense et mieux gérable ; 2) un réajustement de la vie par rapport au syndrome : adapter son mode de vie pour éviter l’aggravation des symptômes ; 3) une redéfinition de la signification de soi, de la santé et de la qualité, en acceptant la douleur dans leur cadre de vie. Selon les auteurs, ces femmes ont réajusté leur vie, pas pour s’accommoder au trouble, mais pour vivre la vie qu'elles voulaient vivre.


Corbin et al. ont confirmé la nature subjective du rétablissement et ont postulé que la perception de maladie se développe lorsque les gens atteignent un point où ils perdent le contrôle de leur corps, ce qui interfère avec la façon dont ils vivent leur vie. Ils soulignent l’importance d’être capable d’interpréter les sensations corporelles d’une manière de porter des jugements et des mesures qui facilitent le rétablissement. Les auteurs pensent que le rétablissement est lié à des valeurs importantes telles que l’espoir, la connaissance, l’individualisation, le choix et le changement. Ils ajoutent que les systèmes de santé, d’assurance sociale peuvent jouer un rôle important dans la promotion de l'espoir, de l'acceptation et du soutien du processus individuel de rétablissement. Les interviewées ont également signalé que les conjoints qui les soutiennent et les employeurs qui les ont aidés réorganiser leur travail et leur façon de travailler, d’une façon à maintenir leurs rôles sociaux.


Certains auteurs ont décrit le processus de rétablissement comme une transition vers une nouvelle vie dans laquelle les rôles et les habitudes sont ajustés au sein des nouvelles limites imposées par la maladie. Cette transition est favorisée par les programmes d’ETP et de TCC (ex : apprendre à gérer et faire face aux symptômes, gérer les émotions associées). Cependant, selon les auteurs de cette étude, ces programmes sont susceptibles d'encourager les patients à apprendre un rôle de malade et ainsi réduire leur capacité à mener la vie d'une personne saine.


Merci d'avoir pris le temps de me lire. Nicolas Adenis.





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